Les campagnes d'essais internationales et le trafic vers l'ISS retardent le vol de l'ATV à l'automne
Le « Jules Verne », le premier des cinq cargos automatiques ATV (Automated Transfer Vehicles), est dans la dernière ligne droite avant son lancement. Le matériel est intégré à 100% et prêt à voler. La mission inaugurale, prévue pour la seconde moitié de 2007, fera suite à une vaste campagne d'essais qui aura duré trois ans.
Les équipes du maître d'œuvre industriel et de l'ESA travaillent d'arrache-pied pour achever les essais du vaisseau spatial le plus complexe jamais développé en Europe. Les prochains mois représenteront une phase cruciale pour ce programme à la pointe de la technologie. Celui-ci devra atteindre trois objectifs en même temps : achever la préparation les opérations de vol, peaufiner les interfaces avec la Station Spatiale Internationale et les partenaires du programme, ainsi que préparer Ariane 5 à la mise en orbite de sa plus grosse charge utile à ce jour.
Au cours des mois écoulés, le défi principal posé par les essais de qualification de l'ATV a été la conduite de campagnes parallèles impliquant différents types d'interfaces avec différents partenaires. Cette stratégie complexe, dont la mise en œuvre a pris du temps, a pour objectif premier d'assurer que le matériel et les logiciels de l'ATV sont capables de gérer tous les scénarios nominaux et non-nominaux auxquels le « Jules Verne » pourrait avoir à faire face durant son vol.
Ainsi, près de Moscou, dans les installations de RKK Energiya - le site de fabrication des systèmes d'arrimage et de ravitaillement en ergols ainsi que de leur électronique associée - d'importantes simulations par ordinateur ont été réalisées de décembre à mars au GDC (Ground Debugging Complex). Un puissant simulateur y est utilisé pour introduire volontairement plusieurs scénarios de défaillances et créer artificiellement des situations dégradées auxquelles l'architecture de l'ATV doit répondre tout en respectant les contraintes de sécurités très strictes imposées aux vols habités.
L'objectif est de tester la version finale des logiciels utilisés d'une part pour la liaison entre l'ATV et le module russe lors des opérations de rendez-vous et d'arrimage, d'autre part après l'arrimage pour permettre au module russe de prendre le contrôle du système propulsif de l'ATV pour assurer la remontée en orbite et le contrôle d'attitude du complexe orbital de 220 tonnes que constitue l'ISS. Des équipement de communications réels et des simulateurs de GPS ont été utilisés au cours de ces essais.
Cette campagne, qui touche actuellement à sa fin, a connu quelques retards importants du fait de difficultés inattendues rencontrées lors de la validation du GPS sur le segment russe. Celui-ci doit servir au système de navigation relatif de l'ATV. Des opérations de correction, dont une amélioration des logiciels, ont finalement permis de remplir les objectifs avec succès.
Sur le même site russe, une autre campagne d'essais de deux mois, prévue pour ce printemps, testera des interfaces réelles avec la réplique grandeur nature du module russe de 12,6 m de long dans les installations du KIS (Station de commande et d'essais). Grâces à ces interfaces physiques, il est possible de tester les systèmes d'arrimage et de ravitaillement en ergols avec de vrais fluides et des réservoirs pressurisés. Le « Jules Verne », à l'instar des vaisseaux russes Progress, a la capacité de ravitailler la station avec 860 kg d'ergols et d'évacuer 840 kg de déchets liquides.
Pendant ce temps, au centre ESTEC de l'ESA à Noordwijk, aux Pays-Bas, le vaisseau « Jules Verne » a subi deux campagnes majeures d'essais d'environnement en 2006. la première concernait les essais acoustiques, pour vérifier la capacité du vaisseau à supporter les contraintes acoustiques auxquelles il sera soumis au lancement. Cette campagne s'est achevée avec succès en juillet.
Elle a été suivie par une campagne d'essais thermiques sous vide pour vérifier que le « Jules Verne », en configuration active, est capable de supporter les conditions extrêmes de température et de vide qu'il rencontrera dans l'espace. Bien que le vaisseau lui-même ait été prêt, cette campagne a dû être retardée car le temps nécessaire à la définition précise des procédures de l'essai avec du matériel de vol - qui doit se dérouler à la perfection - avait été sous-estimé. Finalement, le « Jules Verne » a pu effectuer cette campagne avec succès la semaine avant Noël de l'an dernier.
A l'automne 2006 également, grâce au bassin d'essais de carènes le plus grand d'Europe, à l'ouest de Paris, la technique de rendez-vous du « Jules Verne » a pu être testée avec succès. Pour la première fois, l'ensemble du système a fonctionné en circuit fermé avec l'ensemble des éléments du vaisseau représentés en vrai - ordinateurs, logiciels, capteurs, trajectoires - ou simulés comme l'inertie du « Jules Verne » ou l'allumage de ses propulseurs.
La dernière ligne droite
Plusieurs scénarios de mission vont nécessiter des interactions complexes et un partage de responsabilités entre le Centre de contrôle de l'ATV (ATV-CC) à Toulouse, en France, et les centres de contrôle de mission russes et américains à Moscou et Houston. Ce sera la première fois dans l'histoire des activités spatiales que trois centres de contrôle spatiaux répartis autour de la planète devront travailler de concert. Pour ces activités conjointes liées au vol orbital de l'ATV, des procédures spécifiques de haut niveau - les Procédures Multi-Eléments - ont été développées. Elles attribuent successivement des tâches à accomplir aux centres concernés. Une douzaine de simulations impliquant les trois centres de contrôle sont toujours en cours afin de raffiner les procédures pour les scénarios nominaux et non-nominaux auxquels le « Jules Verne » pourrait être confronté.
Dans le même temps, l'équipage de l'expédition 16 de l'ISS, Youri Malenchenko et Peggy Whitson, a entamé son entraînement sur l'ATV au Centre des astronautes européens (EAC) à Cologne,en Allemagne. « Leur rôle durant le rendez-vous sera similaire à celui de l'équipage d'un avion surveillant un atterrissage automatique impliquant 14 paramètres différents, sans contrôle manuel de secours à part la possibilité de commander une manœuvre automatique pour éviter de se poser pour de bon » explique Jean-François Clervoy, astronaute de l'ESA et conseiller du programme ATV.
Maintenant que les nombreux défis des essais et des campagnes sont en passe d'être relevés, le « Jules Verne » devrait être prêt pour son transfert vers le site de lancement à l'été 2007. Le transport de l'ATV et de ses 400 tonnes d'équipement de soutien au sol, du centre d'essais de l'ESA aux Pays-Bas vers Kourou en Guyane Française, prendra deux semaines par mer à bord du navire de transport d'Ariane 5, le « Toucan ».
« C'est très encourageant de voir que la plupart des problèmes que nous avons rencontré au cours des dernières années ont maintenant été résolus et bien que nous ayons encore beaucoup de travail à faire, nous pouvons prévoir que nous serons prêts pour faire embarquer le « Jules Verne » à destination de la Guyane Française, prêt au lancement, dans les quelques mois à venir, » déclare John Ellwood, directeur du programme ATV à l'ESA.
Comme l'ATV est le plus gros et le plus complexe de tous les engins spatiaux jamais développés en Europe, et en raison du cahier des charges très exigeant imposé par les règles de sécurité liées au vol habité, la campagne de lancement au Centre spatial guyanais (CSG) en Guyane Française s'étendra sur près de quatre mois avant la mise en orbite.
Une date de lancement définitive
En attendant, d'avril jusqu'au milieu de l'été, une revue étendue se déroulera avec la NASA et les Russes en Europe, pour s'assurer que le « Jules Verne », les installations qui lui sont associées et les procédures trilatérales sont fins prêts pour la mission inaugurale de l'ATV.
La qualification du Centre de contrôle de l'ATV est presque finalisée, une grande partie du programme d'essais de validation des systèmes a été accomplie. Le programme de qualification des opérations normales a démarré et se poursuit selon le calendrier prévu pour être prêt au lancement à la fin juillet de cette année.
Au-delà de la disponibilité du « Jules Verne » et de son centre de contrôle, de nombreuses contraintes externes limitent considérablement les dates possibles pour un arrimage du « Jules Verne », ce qui restreint également les dates possibles pour son lancement.
Une contrainte naturelle importante est fournie par l'angle formé par le Soleil et la ligne de visée entre l'ATV et l'ISS lors de l'approche finale. Cet angle doit être suffisamment faible pour assurer une bonne alimentation électrique de l'ISS et suffisamment large pour éviter que le Soleil n'éblouisse les capteurs de rendez-vous. Cette contrainte délimite deux fenêtres de lancement, une en septembre, l'autre en novembre.
D'autres contraintes importantes découlent du trafic des autres vaisseaux spatiaux à destination et en provenance de la Station spatiale, ainsi que de la disponibilité de la baie d'arrimage habituellement utilisée par un vaisseau cargo russe Progress.
Un événement météorologique malencontreux est récemment venu perturber les éléments de l'équation déjà fort complexe qui définit la date de lancement du « Jules Verne ». Les dommages causés par la grêle sur le réservoir externe de la navette spatiale sur son site de lancement en Floride sont en cours d'analyse et la NASA a d'ores et déjà annoncé qu'il y aurait un impact sur le manifeste des lancements de navettes de l'automne avec un retard de plusieurs semaines. Si l'on prend en compte d'une part les retards rencontrés récemment par les équipes d'essais en Russie et en Europe, en raison de difficultés inattendues mais désormais résolues, et d'autre part l'addition de nouvelles contraintes externes sur les possibles dates de lancement, il est devenu évident que la première opportunité de lancement possible pour le « Jules Verne » n'intervient pas avant septembre, avec une possibilité de glissement à novembre en fonction de la replanification en cours du manifeste des lancements de la navette et de la priorité donnée à l'ATV pour ravitailler la Station avec 5,3 tonnes de fret.
La direction de l'ESA est en discussion avec ses partenaires internationaux pour s'assurer que le « Jules Verne » pourra voler le plus tôt possible dans les meilleurs conditions de sécurité et démontrer ainsi que l'Europe a la possibilité de fournir une capacité logistique. C'est aussi un moyen pour l'Europe de payer sa part des coûts d'exploitation de l'ISS en investissant dans l'industrie européenne plutôt qu'en transférant de l'argent directement vers ses partenaires internationaux.