Des nématodes dans l’espace
André Kuipers n’est pas le seul passager européen de la mission DELTA, trois millions de minuscules vers sont également du voyage. Ces nématodes participent à une expérience de physiologie et de génomique pour décrypter les effets de la vie en micropesanteur.
Caenorhabditis elegans est un nématode, un ver rond d’à peine un millimètre de long qui vit dans l’humus et se nourrit essentiellement de bactéries. Sa simplicité – il se compose de moins de 1 000 cellules mais comporte néanmoins des appareils reproducteur et digestif, un système nerveux et des muscles – lui a valu d’être abondamment étudié depuis le début des années 1960 afin de servir d’organisme modèle pour l’étude du génome. Avec un cycle de vie de 5 jours et une population composée de mâles et d’hermaphrodites capables de s'auto-féconder, il permet de multiplier les mutations en un laps de temps très bref. Il a été le principal sujet d'étude des lauréats 2002 du prix Nobel de médecine et de physiologie.
Actuellement, de par le monde quelque 2 000 équipes étudient ainsi ces nématodes, dont le génome comporte environ 20 000 gènes, un nombre à comparer celui de l’être humain qui en compte 30 000.
« Pour la génomique, le Caenorhabditis elegans joue un peu le rôle de la mouche drosophile pour la génétique » explique Michel Viso, vétérinaire au CNES et coordinateur de l’expérience ICE-first embarquée à bord de la mission DELTA, qui a décollé le 19 avril du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, à destination de la Station Spatiale Internationale (ISS).
Des vers pour comprendre l’homme
En dépit de l’intérêt porté à ces minuscules vers, dont on sait qu’ils peuvent s’accoupler, se reproduire et se développer lors d’un vol spatial, les opportunités de les embarquer à bord de missions en orbite sont restées rares et les expériences concernaient essentiellement la radiobiologie.
Aujourd’hui, l’intérêt pour l'utilisation de ces organismes modèles en biologie spatiale va grandissant car de nouvelles technologies sont disponibles et permettent d’élargir grandement le spectre des recherches effectuées. Ainsi, l'utilisation des micropuces pour « scanner » l’ADN des échantillons ramenés au sol promet de faire progresser, grâce à la génomique, l’étude des effets du vol spatial sur les organismes vivants.
En fonction des besoins et des sollicitations, au sein du noyau de la cellule, l’ADN qui compose le génome « s’exprime » par l’émission d’ARN messager envoyé dans le cytoplasme pour réagir et faire vivre la cellule. L’étude de cet ADN et de cet ARN messager permet de déterminer quels gènes présentent une expression modifiée dans les conditions expérimentales étudiées.
« Il sera très intéressant d’étudier quels gènes s’expriment avec plus ou moins de vigueur lorsque l’organisme est exposé aux conditions du vol spatial », note Michel Viso. « Cela peut nous permettre de mieux comprendre quels mécanismes sont à l’oeuvre et nous aider à développer des mesures prophylactiques pour lutter contre les effets néfastes pour l’être humain ». L’étude génomique détaillée du Caenorhabditis elegans figure au menu de l’expérience ICE-first.
Une large coopération internationale
Comme son nom l’indique, l’expérience ICE-first (International Caenorhabditis elegans Experiment) est une première. Menée par le CNES, avec la participation de l’agence spatiale japonaise JAXA, de la NASA et de l’Agence Spatiale Canadienne, ainsi que le soutien de l’ESA et du SRON, l’organisme de recherche spatiale des Pays-Bas, elle prépare le terrain à des études beaucoup plus ciblées. Pour cela, plusieurs thèmes ont été retenus.
Il s’agit d’abord d’évaluer les effets des radiations et notamment des rayonnements cosmiques sur la stabilité des gènes. L’atrophie et la dystrophie musculaire liées à la micropesanteur sont étudiées à travers la production et la répartition de plusieurs protéines spécifiques ainsi que par l’étude de la migration de certaines cellules durant le développement musculaire. Egalement au programme : une observation du développement des larves, afin de mettre en évidence d’éventuels effets non-létaux qui n’auraient pas encore été repérés, une analyse du vieillissement des cellules musculaires, une étude des changements morphologiques des chromosomes et enfin une étude des effets de la micropesanteur sur le métabolisme de certaines cellules.
« ICE-first répond à une demande formulée en 2003 par l’International Space Life Science Working Group (ISLSWG) dont l’ESA est membre, afin de faire de Caenorhabditis elegans un organisme de référence pour la recherche spatiale au niveau international », explique Marc Heppener, responsable scientifique de la mission DELTA à l’ESA.
Ce premier tour d’horizon permettra de « balayer » de nombreuses disciplines et démontre d'ores et déjà l’intérêt de Caenorhabditis elegans comme modèle animal pour la biologie spatiale. Cette première expérience prépare des développements plus avancés, qui utiliseront les moyens disponibles à bord des laboratoires de la Station Spatiale Internationale comme l'instrument Biolab qui sera installé à bord du module européen Columbus.
Huit cassettes en incubateur
Pour l’expérience ICE-first, des souches de nématodes ont été préparées dans huit cassettes qui ont été installées dans un premier temps à bord de l’incubateur Kubik Topaze avec les cassettes d'autres expérimentations biologiques réalisées par des scientifiques des Pays-Bas. Les nématodes ont été emportés dans des conditions favorables à leur développement, à une température de 20°C et en milieu liquide. Au troisième jour de vol, une fois à bord de la Station Spatiale Internationale, les échantillons sont transférés dans l’incubateur Kubik Ambre, équipé d’une centrifugeuse. Cinq cassettes demeurent en micropesanteur tandis que trois sont placées sur la centrifugeuse afin de servir d'échantillons de référence.
Quatre de ces cassettes ont été équipées d’un petit réservoir de formaldéhyde pour « fixer » les cultures en stoppant toute activité biologique. Deux cassettes seront « fixées » au 7e jour de vol, et deux autres au dernier jour. Les structures figées en vol seront ainsi rapportées intactes au sol pour certains examens par les équipes scientifiques. Les cultures non-fixées en vol, seront placées dans des petits sacs de culture transparents qui permettent l'enregistrement du comportement des nématodes dès le retour sur Terre. Ces petits sacs seront alors réfrigérés ou congelés à moins 193°C pour être rapportés à Toulouse, deux jours à peine après l’atterrissage.
Pour la communauté scientifique, la facilité d'utilisation, la représentativité de cet organisme modèle ainsi que les outils d'analyse disponibles et la multiplicité des souches de ce petit nématode laissent présager la possibilité d’apporter des réponses à d’innombrables questions sur la biologie et la physiologie des organismes supérieurs, en particulier lorsqu’ils sont soumis au « stress » du vol spatial.
L’étude ces petits vers pourra aussi contribuer à la lutte contre certaines affections médicales terrestres, telles que certaines maladies génétiques comme la myopathie, et à préparer l'exploration humaine du Système Solaire.
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