Un village sur la Lune ?
Le directeur général de l'Agence spatiale européenne, l'ESA, dit vouloir construire une base permanente sur la Lune. Ce projet incroyable prend peu à peu forme à mesure que les scientifiques européens commencent à sérieusement y réfléchir. Nous avons rencontré quelques-uns de ceux qui pourraient faire de ce rêve, une réalité, notamment au Centre européen des astronautes à Cologne.
"J'ai l'intention de construire une base permanente sur la Lune: ce sera une station ouverte pour différents Etats participants, des pays des quatre coins du monde," explique posément le nouveau directeur général de l'ESA, Jan Wörner.
Un projet international
Cette ambition nouvelle pour notre satellite naturel constituerait une première: jamais l'Homme n'a en effet disposé de base permanente sur la Lune. En 1969, il y posait le pied grâce au programme américain Apollo. Un exploit qui a montré qu'avec la volonté nécessaire, on pouvait réaliser des pas de géant. "Dans les années 60, il a fallu une décennie pour rendre cela possible, indique l'astronaute de l'ESA, Andreas Mogensen. Aujourd'hui, en termes de développement technologique, poursuit-il, on est beaucoup plus avancé, donc il est clair qu'on peut le refaire."
L'idée, c'est que cette base lunaire de dimension mondiale vienne à terme remplacer la Station spatiale internationale. "Cela veut dire [que pourraient être présents] les Américains, les Russes, les Chinois, les Indiens, les Japonais et même d'autres pays qui pourraient apporter de plus petites contributions," dit Jan Wörner.
Le projet, pour l'instant peu précis, n'en suscite pas moins l'enthousiasme. Au Centre européen des Astronautes de Cologne, un atelier était organisé il y a quelques semaines pour réfléchir aux méthodes de construction de cette sorte de village lunaire permanent. L'une des pistes envisagées: utiliser les métaux, les minéraux et l'eau sous forme de glace qui se trouvent sur place. "La Lune est pleine de ressources, insiste Bernard Foing, directeur du Groupe international d'exploration lunaire de l'ESA. Aux pôles de la lune, précise-t-il,nous avons trouvé des glaces et des endroits qui sont presque toujours au soleil et ces derniers peuvent nous fournir des ressources que nous pouvons utiliser pour construire ou soutenir la vie des astronautes dans cette base lunaire."
Utiliser les matériaux sur place pour construire en impression 3D
Mais la principale menace qui pèse sur toute base lunaire, c'est son exposition au rayonnement solaire et cosmique, aux micrométéorites et à des températures extrêmes. Pour y répondre, Aidan Cowley, chercheur irlandais de l'ESA, travaille sur une technique ingénieuse: le sol lunaire lui-même pourrait permettre de bâtir des dômes de protection. "L'une de nos idées, c'est d'utiliser la roche pour bâtir en impression 3D une structure habitable ou un élément de construction et on pense qu'on peut le faire, dit-il. Un rover se poserait sur la surface de la Lune, il libérerait un dôme gonflable - un peu comme un ballon - et ensuite, les rovers commenceraient à construire un deuxième dôme de protection tout autour du premier où s'installeraient les astronautes, poursuit-il. Donc on dispose une couche de poussière, on agglomère, on met une autre couche de poussière, on agglomère et on procède comme cela jusqu'à ce qu'on ait fini de bâtir tout type de structure," détaille-t-il.
Evidemment, c'est difficile d'aller sur la Lune pour tester de nouvelles idées. Les scientifiques cherchent sur Terre, des lieux où les roches et la poussière pourraient ressembler à celles que l'on trouve sur notre satellite.
Simulations à Terre
C'est le cas dans le massif volcanique de l'Eifel près de Cologne où Bernard Foing nous présente un exercice de simulation: "Nous avons un équipage et des instruments avec lesquels nous voulons mesurer la composition des roches et nous voulons valider que ces instruments fonctionnent en utilisant des roches qui sont très proches des roches lunaires ou martiennes, à savoir des roches volcaniques," souligne-t-il.
Expérience du jour: Oscar Kamps, étudiant en géologie à l'Université d'Utrecht, fait comme s'il se trouvait sur la Lune. Ses collègues le guident à distance. L'objectif, c'est de voir comment le pseudo-astronaute agit en collaboration avec la station. Il s'agit aussi de tester le spectromètre du faux module lunaire qui permet d'identifier les minéraux utilisables pour construire la base et participer à son fonctionnement.
"Dans cette simulation, je joue l'astronaute, indique Oscar Kamps avant d'ajouter: Ma collègue me dirige vers le lieu où elle veut que j'effectue un prélèvement, puis elle me dit quand je dois revenir et mesurer l'échantillon devant ce petit laboratoire." Sa collègue, Marloes Offringa, étudiante en sciences de la Terre à l'Université d'Amsterdam, confirme la bonne réalisation de l'opération: "Les conditions de luminosité sont très bonnes actuellement, dit-elle, on n'a pas besoin de recourir à des méthodes alternatives. Donc c'était très facile d'avoir un bon signal."
"Il faut lancer un immense cycle de développement technologique"
La volonté du directeur général de l'ESA de construire un village lunaire est mobilisatrice même s'il faudra peut-être attendre vingt ans pour que les technologies nécessaires soient fin prêtes. "C'est de nouveau, un immense cycle de développement technologique qui doit démarrer, insiste l'astronaute Andreas Mogensen: cela va de la conception des fusées qui vont nous placer en orbite, nous transférer jusqu'à la Lune et nous y poser jusqu'aux bases lunaires dans lesquelles nous vivrons, c'est vraiment tout ce programme technologique qu'il faut que nous développions," renchérit-il.
Les Européens ne sont pas seuls dans la partie. La Chine prépare une mission de retour d'échantillons lunaires, la Russie développe un alunisseur avec le soutien de l'ESA et la capsule de la Nasa Orion associée à un module européen devrait prochainement voler autour de la Lune.
Une diversité essentielle d'après le directeur général de l'ESA: "L'avantage de ce village lunaire, c'est qu'on n'a pas besoin d'énormément de financement au début, dit Jan Wörner. On peut commencer avec une petite mission d'alunissage que d'ailleurs, beaucoup de pays sont déjà en train de planifier pour aller vers un énorme investissement pour exemple en vue d'installer un radiotélescope sur la surface cachée de la Lune, ajoute-t-il avant de souligner: Il y a des objectifs multiples, des utilisateurs multiples, mais un lieu unique."
La petite sœur de la Terre réserve bien des défis à l'Humanité, elle qui veut en faire un lieu d'expérimentation pour des missions habitées lointaines.