Décès de Gabriel Lafferranderie
C’est avec une grande tristesse que nous annonçons le décès de Gabriel Lafferranderie, le 8 décembre 2016 à l’âge de 75 ans.
Outre son diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, le titre de docteur en Droit lui a été conféré en 1966, consacrant ses travaux précurseurs sur le régime juridique des satellites. Sa thèse, et les nombreuses publications qui ont suivi, ont fait autorité en matière de droit spatial et ouvert la voie à plusieurs générations de chercheurs dans les différentes disciplines connexes. Sa contribution a d’ailleurs été honorée par de prestigieuses distinctions. Il a été notamment le premier titulaire du Prix Hubert Curien, décerné par Eurisy en 2004. Le Ministre, lorsqu’il était en charge de l’Espace, lui avait remis en personne l’insigne de Chevalier de l’Ordre national du Mérite.
Gabriel Lafferranderie entre au Centre national d’Etudes spatiales (CNES) en juillet 1969 comme Chef des Affaires juridiques avant de rejoindre en 1972 l’ESRO, puis l’ESA lors de sa création en 1975, organisation intergouvernementale au sein de laquelle il exerce les fonctions de Conseiller juridique jusqu’en 2006.
Comme en témoigne Marco Ferrazzani, qui lui succède aujourd’hui : « Gabriel Lafferranderie a concouru de manière substantielle à la rédaction, à l’interprétation et à la mise en œuvre de la Convention portant création d’une Agence spatiale européenne, assurant ce faisant la stabilité institutionnelle de l’ESA, la cohérence des Actes juridiques adoptés, et contribuant au succès des grands programmes européens. »
A ce titre, il a également participé à de nombreuses négociations, côtoyant les acteurs européens et non européens du secteur, la NASA notamment, ainsi que des personnalités politiques et scientifiques de tout premier plan. Au sein des grandes conférences internationales qui ont présidé aux destinées de la coopération spatiale, et des réunions du Sous-Comité Juridique du Comité des Nations Unies pour l’Exploration et l’Utilisation de l’Espace extra atmosphérique, il a joué un rôle primordial et contribué à la rédaction de textes décisifs.
En dispensant ses conseils avisés aux Présidents des organes délibérants de l’Agence, aux Directeurs généraux qui se sont succédés, et en négociant habilement avec les partenaires internationaux et industriels, il a apporté la sécurité juridique essentielle à la prise de décision et à la gestion des risques, permettant ainsi de traduire concrètement, au moyen d’engagements juridiques intangibles, les objectifs de l’Exécutif et de réaliser les ambitions des Etats membres. Eric Morel de Westgaver, Directeur Industrie, Approvisionnements et Services juridiques, en témoigne : « Gabriel a été durant de nombreuses années le pilier juridique de l'Administration de L'ESA. Son autorité au Conseil et dans les Comités directeurs de Programmes était reconnue par tous et cela a joué un rôle essentiel pour l'Agence qui construisait le futur spatial de l'Europe en s'appuyant sur les outils juridiques qu'il a forgés et qui sont toujours à l’œuvre de nos jours. »
Apprenant la triste nouvelle, Roy Gibson, premier Directeur général de l’Agence (1975-1980), évoque la mémoire de « Laff’, un fonctionnaire modèle, dévoué, compétent et aimé de tous, dont la modestie a parfois caché le fait que sa contribution et ses conseils étaient fondés sur des connaissances très étendues ».
Soucieux d’assurer un élargissement maîtrisé de l’Agence et de promouvoir la solidarité entre ses différentes parties prenantes, il a permis à diverses contrées de rejoindre l’ESA, à titre d’Etat membre, associé ou coopérant, et de participer aux programmes – tout en assurant le développement des capacités industrielles nationales en Europe et la mutation des mécanismes de gouvernance.
S’appuyant sur l’expertise diversifiée et reconnue des membres de son équipe, et en collaboration étroite avec les Directeurs et Chefs de Département concernés, il a été un artisan zélé de l’accès autonome à l’espace au moyen du lanceur européen Ariane, et de la participation européenne à la Station spatiale internationale. Gabriel Lafferranderie a également pris une part active à la mise en place des opérateurs du secteur spatial, tels qu’Arianespace, Eutelsat et Eumetsat, une innovation qui doit beaucoup à sa capacité d’adaptation aux grandes évolutions, tant géopolitiques qu’économiques ou sociétales.
Nombreux sont les juristes au sein de l’Agence qui ont été recrutés et formés par ce mentor d’exception. Leur contribution à la réflexion engagée sur les questions fondamentales fait honneur à l’Agence dans les nombreux forums internationaux spécialisés.
La création du Centre européen de droit spatial (ECSL) en 1989 témoigne de son engagement au service du développement et de la promotion, auprès des professionnels du domaine et des jeunes générations, des acquis de la coopération internationale et du droit spatial. Les entités qu’il a fondées et dirigées à cette fin, ou auxquelles il a activement participé (l’Institut international de Droit spatial, IISL, la Société française de Droit aérien et spatial, SFDAS, etc.) ont prouvé par leur utilité et leur constante expansion la justesse de ses vues.
En sa qualité de Président de l’IISL, Kai-Uwe Schrogl évoque avec fierté le fait que Gabriel Lafferranderie ait été un membre très actif de l’Institut, qu’il y ait exercé diverses fonctions, notamment celle de Directeur honoraire, en vertu de ses connaissances approfondies, du caractère visionnaire de sa pensée et des liens étroits qu’il a tissés entre les différents organismes spécialisés en Droit spatial (Cf. IISL/ECSL Symposium, Manfred Lachs Moot Court Competition, etc.).
La préservation et la transmission du patrimoine spatial lui tenaient particulièrement à cœur. C’est à Gabriel Lafferranderie et à George van Reeth, alors Directeur de l’Administration (1975-1991), que l’on doit la mise en place d’une initiative visant la sauvegarde des archives de l’ESA et de ses prédécesseurs. Cette action a permis notamment au Projet d’histoire de l’aventure spatiale européenne de prendre son essor.
Les pensées de Jan Wörner, qui honore la mémoire « d’un juriste de renom ayant doté l’Europe spatiale d’outils juridiques et méthodologiques flexibles et reconnus sur lesquels le Directeur général peut s’appuyer quotidiennement dans l’exercice de ses fonctions », vont également à ses proches, qui l’ont accompagné au long de son parcours courageux et déterminé. « Il appartient aujourd’hui à l’Agence et à ses partenaires de poursuivre l’œuvre de Gabriel Lafferranderie. Les condisciples qu’il a formés nous ont ouvert la voie, comme en témoigne le succès du dernier Conseil réuni au niveau ministériel à Lucerne les 1-2 décembre 2016. »