Jusque dans les moindres détails
C’est en juin 2018 que s’est déroulée une série de tests de la mission BepiColombo à destination de Mercure. A l’ESOC, le Centre européen d'opérations spatiales de l'ESA situé à Darmstadt (Allemagne). L’équipe de contrôle de vol, constituée d’environ 80 personnes, a répété pendant plusieurs semaines de simulations les opérations de la phase de mise à poste de la sonde, et a également été confrontée à différents scénarios de panne.
Tout sur le test
La phase de simulation correspond pour l'équipe aux 4 heures, 45 minutes et 5 secondes qui suivent le lancement. Les chiffres scintillent en vert sur un panneau lumineux dans la salle de contrôle principale de l’ESOC. Quatorze hommes et femmes de l'équipe BepiColombo sont assis à leur poste ce matin de juin, concentrés sur les tableaux et les graphiques affichés sur leurs écrans et leurs ordinateurs portables. Un grand écran sur le mur indique l'état de contrôle de l'antenne, du suivi, des liaisons montantes ou du traitement des données du satellite. Depuis la fin du mois de mai, l’équipe de la mission à destination de Mercure répète les premiers jours, depuis le lancement jusqu’à la fin de la phase de mise à poste du satellite. Les choses deviennent en effet sérieuses : le 20 octobre, le lanceur décollera avec sa précieuse cargaison depuis le Port spatial de l’Europe situé à Kourou (Guyane) pour un voyage de sept ans à destination de Mercure.
A la voir, Elsa Montagnon semble tendue. La Française, qui a étudié l’ingénierie mécanique à Paris et à Munich, est à la tête de l’équipe de contrôle de vol, et supervise les simulations en cours. Elle travaille à l’ESOC depuis 1999 et a participé à la spectaculaire mission cométaire Rosetta. Depuis onze ans, elle prépare la mission BepiColombo en tant que responsable des opérations de vol. La mission interplanétaire de l’Agence spatiale européenne coûte plus d’un milliard d’euros. « Nous voulons être absolument sûrs que tout est sous contrôle », d’où ces tests et cette préparation méticuleuse et minutieuse, justifie l’experte de l’ESOC.
Unique en son genre
Le voyage vers Mercure que l’ESA et l’Agence spatiale japonaise JAXA entreprennent conjointement est l’un des plus exigeants jamais effectué lors d’une mission interplanétaire. BepiColombo comprend l’Orbiteur d’étude planétaire de l’ESA (Mercury Planetary Orbiter - MPO) qui explorera la surface de la planète, et l’Orbiteur magnétosphérique de la JAXA (Mercury Magnetospheric Orbiter – MMO) qui étudiera la magnétosphère. Les deux satellites effectueront ensemble le long voyage vers la plus petite planète de notre Système Solaire, propulsés par un moteur ionique spécial. Une fois en orbite autour de Mercure, ils se sépareront du module de transfert et rejoindront leurs orbites opérationnelles respectives, situées à des altitudes différentes – un profil de mission unique à ce jour. Mercure est la planète de notre Système Solaire la plus proche du Soleil; les températures qui règnent à sa surface sont de l’ordre de 350 à 450°C, ce qui a nécessité de développer un nouveau revêtement protecteur spécialement pour la mission BepiColombo. Les scientifiques ont conçu un revêtement en céramique blanche plus épais que celui utilisé actuellement sur les satellites, qui vaut à la sonde d’être surnommée « le satellite blanc ».
Les premières heures sont critiques
Les premières heures après le décollage et les trois premiers jours sont les moments les plus critiques de la mission ; Elsa les appelle « l’interface entre le sol et l’espace ». Tout doit fonctionner. Pendant sa rotation d’une durée de douze heures, l’équipe s’entraîne à tous ces processus en temps réel, en utilisant le même logiciel que celui programmé dans le satellite. « Nous testons tous les scénarios, » assure Elsa. Ils commencent huit heures avant le décollage du lanceur qui emmène le satellite dans l’espace par de nombreux tests sur les données alors que l’ensemble est encore au sol. Ils simulent le décollage en lui-même et la séparation du satellite de son lanceur, l’initialisation de la sonde dans l’espace, et le premier contact avec la salle de contrôle. « Quarante minutes après le décollage, nous devons recevoir un signal envoyé par la sonde » explique Elsa. Le système de propulsion doit être vérifié, et il faut également contrôler que les panneaux solaires se sont déployés correctement. « Ce sont des étapes particulièrement délicates » dit-elle. Ce n’est que lorsque les panneaux solaires sont déployés et verrouillés à l’aide d’un petit moteur que le satellite est autonome, stabilisé et en sécurité. Il peut alors s’approvisionner en énergie solaire. Ce sont ensuite les capteurs d’étoiles, qui permettent de déterminer l’orientation, et les roues à réaction, importantes pour le contrôle d’attitude, qui doivent être activés.
« Après huit heures nous passerons en mode normal » explique la responsable de l’équipe de contrôle de vol. Cette première étape est très intense pour l’équipe de contrôle, et ils ne peuvent souffler un peu que lorsqu’elle est terminée. Il reste pourtant encore à déployer les antennes pour les communications et vérifier le fonctionnement des propulseurs. La phase de mise à poste prend fin après trois jours. L’équipe de contrôle répète ces trois jours jusqu’à en connaître les moindres détails : les procédures nominales, les cas de pannes potentiels, les processus de décision et l’équipe, qui comprend près de cent experts dans les premiers jours de la mission.
Tests de pannes
Les première simulations se déroulent sans mettre la pression à l’équipe, mais ensuite c’est « Darmstadt, nous avons un problème ». Les experts doivent être prêts à faire face à des défaillances, à la malchance et à des pannes. « Nous sommes actuellement dans la phase où seuls les problèmes rencontrés lors des essais ont été incorporés » commente Elsa. Il s’agit par exemple de défauts dans la sonde, de pannes techniques au niveau des stations sol, ou de la perte inattendue d’un membre du personnel. « Il se passe tout ce que nous sommes capables d’imaginer » dit-elle. Il y a même un spécialiste simulations qui réfléchit à toutes les difficultés possible pour l’équipe, et pour la mission, afin de trouver les points faibles et d’analyser les besoins. « C’est dans le cadre d’une panne que l’on se rend compte de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas » explique Elsa. Son cauchemar personnel, ce serait que les panneaux solaires ne se déploient pas. Tant qu’ils ne fonctionnent pas, la sonde fonctionne sur batterie, avec une autonomie d’environ deux heures seulement. « Nous n’avons que très peu de temps ». Ce scénario cauchemardesque ne peut pas survenir suite à une seule défaillance, il en faudrait une série. « Mais je serai nerveuse jusqu’à cet instant lors de la phase initiale de la mission » admet-elle.
S’entraîner à la résistance à la pression
Les simulations permettent également de développer une résistance à la pression du temps, physique et psychologique. L’entraînement est difficile, « mais nous y sommes préparés » explique la responsable de l’équipe de contrôle de vol. Le modèle d’ingénierie, une copie du satellite réalisée en mars à l’ESOC à des fins de tests, aidera également. Il se trouve dans sa propre salle blanche au sein du Centre de contrôle à Darmstadt, où il est conservé à une température fraîche. La partie logicielle, le cerveau du satellite, est déployée et stockée sur des tables et dans des armoires. Ici aussi on simule par ordinateur de manière réaliste les conditions rencontrées dans l’espace.
Les simulations de la mission BepiColombo se sont poursuivies jusqu’au mois de juillet. L’équipe a ensuite pris une pause estivale. « C’est nécessaire, » explique Elsa Montagnon, « il n’est pas possible de tenir ce rythme ». Et en effet, tout le monde souhaite être en pleine forme pour le début du vrai compte à rebours, prévu le 20 octobre.
Elsa Montagnon a effectué ses études d’ingénieur à l’École Centrale à Paris, et a participé à un programme de double diplôme avec l’Université technique de Munich (Allemagne) où elle a étudié pendant deux années. C’est en faisant un stage de courte durée à l’ESOC dans le cadre de ses études en Allemagne qu’Elsa a trouvé sa voie. Une fois ses études terminées, elle est entrée à l’ESA dans le cadre du programme Young Graduate Trainee qui permet aux jeunes diplômés d’obtenir une première expérience professionnelle de valeur dans le secteur aérospatial. Avant de rejoindre la mission BepiColombo, Elsa a travaillé au sein de l’équipe de contrôle de vol de la sonde Rosetta pendant huit ans, et elle était responsable adjointe des vols à l'ESA pour l’atterrissage de Philae sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko en novembre 2014.