SMART-1 : le plasmique tient ses promesses
Après une pause d’un mois, la sonde européenne SMART-1 a rallumé son moteur principal et repris sa route vers la Lune. Ce propulseur plasmique, réalisé à Villaroche, près de Melun, donne entière satisfaction et pourrait même permettre d’atteindre une meilleure orbite que prévue.
Le moteur plasmique PPS-1350, qui équipe la sonde SMART-1, est entré en service le 30 septembre dernier, trois jours après le lancement, et a cumulé 1 705 heures de fonctionnement jusqu’au 31 janvier, date à laquelle il a été arrêté pour près d’un mois. « C’est un record mondial, puisque nous avons dépassé le record des Russes qui était d’un peu plus de 1 600 heures » se félicite Christophe Koppel, chef de projet SMART-1 chez Snecma Moteurs, fournisseur du PPS-1350.
Pendant quatre mois, le petit moteur, dont la poussée équivaut au poids d’une carte postale, aura fonctionné quasiment en permanence, s’interrompant principalement lors des périodes d’éclipses, quand la sonde passe dans l’ombre de la Terre, afin de ne pas mettre ses batteries à trop rude épreuve. Ces éclipses ont pris fin en novembre et un tir continu de plus de 240 heures a pu être réalisé du 23 décembre au 2 janvier.
Coupures de courant
Pourtant, au début, des arrêts inopinés du moteur avaient causé bien des interrogations. En fait, le moteur lui-même n’y était pour rien, c’est un composant électronique du boîtier de commande qui était en cause. Cet octocoupleur, sensible aux radiations, provoquait des coupures d’alimentation électrique. « Il nous a fallu un mois pour comprendre, révèle Christophe Koppel. Ce sont les violentes éruptions solaires de fin octobre qui nous ont permis de localiser l’origine de ces arrêts inopinés ! »
Au total, le moteur a subi 18 interruptions de poussée dues à ces coupures d’alimentation intempestives jusqu’au début janvier. En revanche, il n’a été nullement affecté par le flux record de radiations venues du Soleil.
Un « patch » logiciel a été téléchargé à bord de la sonde. En cas d’extinction involontaire du moteur due à une coupure d’alimentation, il déclenchera un rallumage immédiat. « Nous pouvons redémarrer après avoir attendu 20 minutes que la cathode refroidisse » explique Giuseppe Racca, directeur du projet SMART-1 à l’ESA. Ce délai peut-être raccourci si nécessaire en alternant les cathodes, car le PPS-1350 en possède deux pour assurer la redondance.
Des performances supérieures aux prévisions
SMART-1 a définitivement quitté les ceintures de radiations en janvier en bien meilleure forme qu’on aurait pu le craindre. Non seulement le moteur est indemne, mais ses performances sont légèrement supérieures aux prévisions. Par ailleurs, les panneaux solaires, connus pour leur sensibilité aux flux de protons et d’électrons, ont subi une dégradation conforme aux prévisions originales en dépit des éruptions solaires. « Nous avons même 100 W de plus que prévu » note Giuseppe Racca. Un surcroît de puissance qui devrait profiter à la propulsion.
Le 30 janvier, le moteur a été arrêté alors que la sonde s’apprêtait à traverser une longue période d’éclipse. Cette interruption de près d’un mois a permis de réaliser les derniers essais de validation des charges utiles scientifiques. SMART-1, initialement lancée sur une orbite de transfert géostationnaire 656 x 35 844 km, se trouvait alors sur une orbite elliptique bien plus élevée : 14 312 x 59 491 km, atteinte à la seule force de la propulsion plasmique. En quatre mois et plus de 200 orbites, l’incrément de vitesse a atteint 1 220 m/s, soit 4 392 km/h.
Le 24 février, le moteur a été remis en route sans aucun problème.
Espoirs industriels
Snecma Moteurs, qui a fourni le moteur PPS-1350 et toute l’électronique de commande associée, ne peut que se féliciter du déroulement de la mission. Depuis 12 ans, l’industriel français s’est investi dans la propulsion plasmique au travers d’accords avec l’industriel russe Fakel, pionnier de cette technologie depuis les années 1970. Le PPS-1350 est le fruit de ces travaux. Ce propulseur à plasma stationnaire, capable de délivrer 90 mN de poussée (70 mN sur SMART-1) en éjectant du plasma de xénon accéléré par effet Hall, est une évolution du SPT-100 russe. Parfaite démonstration des capacités d’un tel propulseur, SMART-1 arrive à point nommé : fin 2002, les deux satellites équipés des premiers propulseurs plasmiques réalisés par Snecma avaient tous deux été détruit dans des échecs de lancement. En attendant que son moteur fasse ses preuves, le motoriste français a fourni des moteurs SPT-100 « occidentalisés » pour des satellites commerciaux dont les lancements sont prévus en juin et en octobre prochain.
Néanmoins, Snecma étudie déjà un moteur plus puissant, le PPS-5000, qui pourrait servir au maintien à poste de très grosses plates-formes, comme le satellite AlphaSat étudié conjointement par l’ESA et le CNES dans le cadre du programme ARTES.
Un pilotage complexe
La mission SMART-1 a aussi permis de familiariser les équipes de l’ESA avec le contrôle d’une sonde dotée de propulsion électrique, un savoir-faire qui sera précieux lorsqu’il s’agira de lancer la mission BepiClombo vers Mercure. Or il est apparu que piloter une sonde qui accélère en continu est un peu plus complexe que prévu. En effet, les sondes qui utilisent une propulsion chimique effectuent l’essentiel de leur mission sur des trajectoires balistiques ou orbitales classiques. Leur position à un instant donné est donc connue longtemps à l’avance grâce aux lois de la mécanique céleste, ce qui permet de pré-programmer leur attitude et le pointage des stations au sol.
Dans le cas d’une sonde propulsée, les calculs sont un peu plus complexes et surtout, il faut entièrement les refaire si jamais la propulsion connaît une interruption imprévue. « Cela nécessite plus de travail que nous le pensions » reconnaît Giuseppe Racca. « C’est une des leçons apprises avec SMART-1 qu’il nous faudra appliquer sur BepiColombo ». Pour l’ambitieux programme d’exploration de Mercure de l’ESA, Giuseppe Racca propose d’améliorer l’autonomie à bord afin d’accroître la surveillance des équipements. Le pilotage en orbite héliocentrique devrait toutefois être plus facile que sur une orbite terrestre bien plus dynamique et donc bien plus sensible aux interruptions de propulsion même courtes.
Aujourd’hui SMART-1 a bien rattrapé le retard enregistré au début de son périple. La sonde est en bonne voie pour effectuer son premier survol de la Lune en août et entrer en orbite autour de notre satellite en décembre. Les bonnes performances du moteur et le surcroît de puissance disponible pourraient permettre de réviser le calendrier de la mission. « Nous avons de bonnes réserves de xénon et nous pourrions décider d’en consommer un peu plus pour atteindre la Lune plus tôt ou pour descendre sur une meilleure orbite » estime Giuseppe Racca. Aucune décision n’a encore été prise. « Vraisemblablement, nous ferons un peu des deux. »
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