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Un géant endormi surprend les scientifiques de Gaia

19/04/2024 496 views 1 likes
ESA / Space in Member States / France

Des scientifiques ont découvert un « géant endormi » en parcourant la myriade de données de la mission Gaia de l’ESA. Un grand trou noir, d’une masse de près de 33 fois celle du Soleil, se cache dans la constellation Aquila, à moins de 2000 années-lumière de la Terre. C’est la première fois qu’un trou noir d’origine stellaire aussi grand est repéré au sein de la Voie lactée. Des trous noirs de ce type n’avaient jusqu’ici été observés que dans des galaxies très lointaines. Cette découverte remet en question notre compréhension de la façon dont les étoiles massives se développent et évoluent.

Les trous noirs de Gaia
Les trous noirs de Gaia

La matière dans un trou noir est si dense que rien ne peut échapper à son immense attraction gravitationnelle, pas même la lumière. La grande majorité des trous noirs de masse stellaire que nous connaissons engloutissent de la matière provenant d’une étoile compagnon voisine. La matière capturée tombe à grande vitesse sur l’objet effondré, devenant ainsi extrêmement chaude et émettant des rayons X. Ces systèmes appartiennent à une famille d’objets célestes appelés binaires X.

Lorsqu’un trou noir n’a pas de compagnon suffisamment proche à qui voler de la matière, il ne génère aucune lumière et est extrêmement difficile à repérer. Ces trous noirs sont appelés « dormants ».

Afin de préparer la parution du prochain catalogue Gaia, le Data Release 4 (DR4), des scientifiques vérifient les mouvements de milliards d’étoiles et réalisent des tests complexes pour voir si quelque chose sort de l’ordinaire. Les mouvements des étoiles peuvent être perturbés par des compagnons : légers, comme les exoplanètes ; plus lourds, comme les étoiles ; ou très lourds, comme les trous noirs. Des équipes dédiées de la collaboration Gaia sont chargées d’enquêter sur tout cas étonnant.

L’une de ces équipes était profondément absorbée par ce travail quand son attention a été attirée par une vieille étoile géante de la constellation Aquila, à une distance de 1926 années-lumière de la Terre. En analysant en détail les oscillations dans la trajectoire de l’étoile, ils ont découvert une grosse surprise. L’astre est enfermé dans un mouvement orbital avec un trou noir dormant d’une masse exceptionnellement élevée, environ 33 fois supérieure à celle du Soleil.

Il s’agit du troisième trou noir dormant trouvé grâce à Gaia, et il a donc été baptisé « Gaia BH3 ». Sa découverte est très excitante en raison de la masse de l’objet. « C’est le genre de découverte que vous faites une fois dans votre vie de chercheur », s’exclame Pasquale Panuzzo, du CNRS, Observatoire de Paris, en France, qui est l’auteur principal de ce constat. « Jusqu’à présent, des trous noirs aussi gros n’avaient été détectés que dans des galaxies lointaines par la collaboration LIGO-Virgo-KAGRA, par le biais de l’observation des ondes gravitationnelles ».

La masse moyenne des trous noirs connus d’origine stellaire dans notre galaxie est d’environ 10 fois la masse de notre Soleil. Jusqu’à présent, le record de poids était détenu par un trou noir dans une binaire X de la constellation Cygnus (Cyg X-1), dont la masse est estimée à environ 20 fois celle du Soleil.

«L’impact transformationnel de Gaia sur l’astronomie et l’astrophysique est impressionnant », note la professeure Carole Mundell, directrice de la Science à l’ESA. « Ses découvertes vont bien au-delà de l’objectif initial de la mission, qui est de créer une carte multidimensionnelle extraordinairement précise de plus d’un milliard d’étoiles de notre Voie lactée ».

Une précision inégalée

La superbe qualité des données de Gaia a permis aux scientifiques de déterminer la masse du trou noir avec une précision inégalée et de fournir la preuve la plus directe de l’existence de trous noirs de cette masse.

Les astronomes sont confrontés à une question pressante : expliquer l’origine de trous noirs aussi gros que Gaia BH3. Notre compréhension actuelle de la façon dont les étoiles massives évoluent et meurent n’explique pas immédiatement l’existence de trous noirs de ce type.

La plupart des théories prévoient que les étoiles massives perdent en vieillissant une partie importante de leur matière à cause de vents puissants avant d’être en partie soufflées dans l’espace lorsqu’elles explosent en supernova. Ce qui reste de leur noyau se contracte encore pour devenir selon sa masse soit une étoile à neutrons, soit un trou noir. Il est très difficile d’expliquer qu’un noyau soit suffisamment gros pour se retrouver sous forme d’un trou noir de 30 fois la masse de notre Soleil.

Un indice permettant de résoudre ce casse-tête pourrait se situer très près de Gaia BH3.

Un compagnon intriguant

L’étoile en orbite autour de Gaia BH3 à environ 16 fois la distance Soleil-Terre est plutôt rare ; il s’agit d’une ancienne étoile géante qui s’est formée dans les deux premiers milliards d’années qui ont suivi le Big Bang, au moment où notre galaxie a commencé à s’assembler. Elle appartient à la famille du halo stellaire galactique et se déplace dans la direction opposée aux étoiles du disque galactique. Sa trajectoire indique que cette étoile faisait probablement partie d’une petite galaxie, ou d’un amas globulaire, englouti par notre propre galaxie il y a plus de huit milliards d’années.

L’étoile compagnon compte très peu d’éléments plus lourds que l’hydrogène et l’hélium, ce qui indique que l’étoile massive devenue Gaia BH3 aurait également pu être très pauvre en éléments lourds. C’est remarquable. Cela corrobore, pour la première fois, la théorie selon laquelle les trous noirs de grande masse observés par les expériences sur les ondes gravitationnelles ont été produits par l’effondrement d’étoiles massives primitives pauvres en éléments lourds. Ces étoiles primitives pourraient avoir évolué différemment des étoiles massives que nous voyons actuellement dans notre galaxie.

La composition de l’étoile compagnon éclaire également le mécanisme de formation de cet étonnant système binaire. "Ce qui me frappe, c’est que la composition chimique du compagnon est similaire à celle des vieilles étoiles pauvres en métaux de la galaxie", explique Elisabetta Caffau, du CNRS, Observatoire de Paris, également membre de la collaboration Gaia.

« Rien n’indique que cette étoile ait été contaminée par la matière éjectée par l’explosion en supernova de l’étoile massive devenue BH3 ». Cela pourrait laisser penser que le trou noir n’a acquis son étoile compagnon qu’après sa naissance, la capturant d’un autre système.

Avant-goût savoureux

La découverte du BH3 de Gaia n’est qu’un début et il reste encore beaucoup à étudier sur sa nature déconcertante. Maintenant que la curiosité des scientifiques a été piquée, ce trou noir et son compagnon feront sans aucun doute l’objet de nombreuses études approfondies à venir.

La collaboration Gaia est tombée sur ce « géant endormi » tout en vérifiant les données préliminaires en vue de la parution de la quatrième partie du catalogue Gaia. Cette découverte est si exceptionnelle qu’ils ont décidé de l’annoncer en amont de la parution officielle.

La prochaine parution de données de Gaia s’annonce comme une mine d’or pour l’étude des systèmes binaires et la découverte de davantage de trous noirs dormants dans notre galaxie. « Nous avons travaillé d’arrache-pied pour améliorer la façon dont nous traitons des jeux de données spécifiques depuis le précédent catalogue de données (DR3), nous nous attendons donc à découvrir beaucoup plus de trous noirs dans DR4 », conclut Berry Holl, de l’Université de Genève, en Suisse, membre de la collaboration Gaia.

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Qu'est-ce qu'un trou noir ?
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Notes aux rédactions

« Discovery of a dormant 33 solar-mass black hole in pre-release Gaia astrometry"  » par la collaboration Gaia, P. Panuzzo, et al. a été publié le 16 avril dans la revue Astronomy & Astrophysics (A & A).

Gaia est une mission européenne, construite et exploitée par ESA. Elle a été approuvée en 2000 en tant que mission fondamentale de l’Agence spatiale européenne dans le cadre du programme scientifique Horizon 2000 Plus de l’ESA, soutenu par tous les États membres de l’ESA. Les États membres jouent également un rôle clé dans la partie scientifique de la mission dans le cadre du Consortium de traitement et d’analyse des données (DPAC) chargé de transformer les données brutes en produits scientifiques pour la publication des données de Gaia, en collaboration avec l’ESA. Le DPAC rassemble plus de 450 spécialistes issus de toute la communauté scientifique européenne. Gaia a été conçu et construit par Astrium (aujourd’hui Airbus Defence and Space), avec une équipe centrale composée d’Astrium France, Allemagne et Royaume-Uni. L’équipe industrielle comprenait 50 entreprises de 15 pays européens, ainsi que des entreprises américaines. La sonde a été lancée par Arianespace le 19 décembre 2013.

Une liste des chercheurs impliqués et le rôle des États membres ESA sont disponibles pour les médias ici [PDF].

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