Capsule ARD - Essai en vol de la phase terminale de la mission
C. Cazaux & B. Tatry
Projet ARD, ESA/CNES, Toulouse, France
Le programme ARD (Atmospheric Reentry Demonstrator) est un
programme de l'ESA placé sous maîtrise d'oeuvre de la
société Aérospatiale.
Ce programme a pour objectif d'effectuer une rentrée dans
l'atmosphère avec une capsule spatiale et de la
récupérer. Cette capsule a une forme type capsule
Apollo, de diamètre 279 mm, hauteur 2037 mm et masse 2800
kg. L'ARD sera lancé par Ariane-5 (vol 503) sur une orbite
rentrante avec une pente de rentrée voisine de -3°
à 120 km d'altitude, et récupéré dans
l'Océan Pacifique (près des îles Christmas).
L'Europe veut ainsi démontrer sa capacité de lancement,
de maîtrise du guidage et pilotage pendant la rentrée
et de récupération d'une capsule non habitée dans
un environnement représentatif des futures conditions
opérationnelles d'une capsule CTV habitée.
Préalablement au vol de l'ARD, la chaîne de parachutes
destinée à freiner la vitesse de retombée de la
capsule à la fin de la phase de rentrée
atmosphérique et le système de flottaison ont
été qualifiés par un essai en vol fonctionnel
spécifique qui a eu lieu le 14 juillet 1996 et qui est
décrit ci-après.
L'objectif de l'essai en vol était la qualification
fonctionnelle du sous-système Descente et
Récupération. Ce sous-système, dont le
développement a été confié à la
société Alenia, avec Irvin-USA pour les parachutes,
Irvin-Italie pour les ballons de flottaison et Swedish Space
Corporation pour la caméra, est constitué des
éléments suivants (Fig. 1):
![fig.1 bul.89](images/caza89f1_sm.gif)
Figure 1. Le sous-système 'Descente et
Récupération' (DRS) dans la capsule ARD
- le parachute mortier (petit parachute éjecté au
début de la séquence parachute par une charge
pyrotechnique commandée par un BSA - boîtier de
sécurité armement), installé dans le capot de
protection et de fermeture du compartiment de stockage (canister)
des parachutes, et relié à ce capot par une bride;
- le capot de protection, qui supporte le mortier, fixé à
la capsule par trois boulons à
cisaillement pyrotechnique commandés par un BMS
(boîtier mécanique de sécurité), et
relié au parachute drogue;
- le parachute drogue
équipé d'un étage de reefing, relié à
la capsule par deux brides et relié aux parachutes
principaux;
- les trois parachutes principaux, chacun avec deux
étages de reefing, reliés à la capsule par deux
brides;
- la structure cylindrique du canister qui contient les
parachutes principaux et le drogue. Cette structure est
boulonnée dans sa partie haute au cadre supérieur de
la structure conique primaire de l'ARD. La structure canister
assure une partie de l'étanchéité de l'enceinte
interne de la capsule, l'intérieur du canister étant
en communication avec l'espace externe par des évents
situés sur le capot;
- les deux ballons cylindro-
sphériques de flottaison reliés à la capsule par
des brides;
- les trois bouteilles de gaz hélium servant au
gonflage des ballons;
- une caméra vidéo située
dans la partie supérieure du canister qui filme la
séquence de déploiement des parachutes drogue et
principaux et la descente jusqu'à l'amerrissage;
- une
balise Sarsat pour aide à la récupération;
- des capteurs (d'effort, de contact, de température...).
Cette qualification fonctionnelle devait être réalisée
dans des conditions reproduisant le plus possible les conditions
réelles et dimensionnantes de la dynamique du vol de l'ARD.
Les paramètres essentiels en découlant étaient:
- la pression dynamique comprise entre 5000 et 5500 Pa;
- la
vitesse proche de Mach 0,8 mais ne dépassant pas cette
valeur;
- l'altitude qui en résulte au-dessus de 10 km.
A partir de ces spécifications, l'essai fonctionnel a
été défini. La solution retenue consistait à
effectuer un lâcher d'une capsule à l'échelle 1
à partir d'un ballon stratosphérique, suivi d'une chute
libre permettant d'atteindre la dynamique du vol
spécifiée, suivie de la phase fonctionnelle comportant
la séquence des parachutes et l'amerrissage.
Cet essai a été placé sous la responsabilité
de la société Alenia, qui a utilisé les services
de la base de lancement de ballons stratosphériques de
l'Agence spatiale italienne (ASI) à Trapani (Sicile).
En partant des contraintes majeures de cet essai de qualification
fonctionnelle, les caractéristiques et la séquence
mission suivantes ont été définies :
- La capsule
ARD est simulée par une maquette à l'échelle 1,
avec une forme aérodynamique strictement identique au
modèle de vol. Cette maquette est constituée d'une
structure simple avec des poutres acier et une peau externe en
résine fibre de verre; cette peau présente la forme
exacte de l'ARD et assure l'étanchéité (pour la
flottaison uniquement).
Cette structure accueille:
- un modèle de vol complet du
sous-système Descente et Récupération (ce
modèle de vol a subi préalablement à l'essai une
qualification mécanique de niveau système
représentant le lancement);
-
un séquenceur jouant le rôle du calculateur de vol
et générant les commandes des différentes
séquences;
- des capteurs supplémentaires de
paramètres de vol (pressions, températures,
accéléromètres, gyromètres,
inclinomètres, capteurs de déplacement, micro-contacts...);
- un enregistreur de bord à état solide et un
système de télémesure bande-S pour les
paramètres nécessaires à l'exploitation;
- des
batteries;
- un système de vanne d'évent permettant
d'assurer l'équilibre des pressions externe et interne et
l'étanchéité après amerrissage.
- Altitude
de lâcher de la capsule: entre 23 et 24 km.
- Conditions de
lâcher:
- incidence : <5°
- rotation en tangage : <1°/
s
- lâcher au-dessus d'une zone prédéfinie
garantissant un retour de la capsule dans une zone de
sécurité pour tous les cas nominaux ou
dégradés de la mission.
- Au lâcher,
démarrage séquence d'essai, mise en route caméra,
enregistreur...
- Phase de chute libre permettant d'atteindre les
paramètres de dynamique du vol rappelés ci-dessus.
- La
capsule ne disposant pas du système nominal de contrôle
d'attitude, un dispositif de stabilisation constitué d'une
masse suspendue par trois élingues munies chacune d'un amortisseur
est utilisé (Fig. 2). Ce dispositif est déployé
dès le lancement du ballon pour atteindre sa position
nominale (masse suspendue à environ 5 mdu bouclier
capsule). Il permet de maintenir les oscillations en tangage et
lacet pendant la chute libre en dessous de 40°, compte tenu
des conditions de lâcher, des dispersions sur le centrage,
les inerties et les coefficients aérodynamiques, et des
perturbations atmosphériques (rafales de vent). Ce
système est largué par coupure pyrotechnique 0,8 s
avant le démarrage de la séquence parachute (tir du
mortier), déclenché par le séquenceur à un
temps préprogrammé au sol de l'ordre de 50 s après
le temps tlacher ,
ce qui correspond à une altitude moyenne théorique de
15 km.
![fig.2 bul.89](images/caza89f2_sm.gif)
Figure 2. La capsule et sa masse de stabilisation en
configuration de lancement (suspendues à la nacelle)
- Tir du mortier commandé par le séquenceur
embarqué à tlacher +50 s.
- Poursuite
de la séquence parachute commandée par le
séquenceur (séparation du capot, déploiement
parachutes drogue puis principaux).
- Mise en incidence de la
capsule par coupure pyrotechnique d'une des deux brides de
suspension de la capsule aux parachutes principaux. Cette mise
en incidence a pour but de limiter l'amplitude du choc à
l'amerrissage.
- A l'amerrissage détecté par un capteur
de choc, coupure pyrotechnique de la deu-xième bride de
suspension pour désolidariser les parachutes de la capsule
et les laisser couler.
- Démarrage du gonflage des ballons
de flottaison et fermeture de la vanne d'évent par commande
du séquenceur.
- Arrêt de l'essai en vol. La balise Sarsat autonome
continue à émettre.
- Récupération de la
capsule par un navire.
La mise à poste de la capsule est effectuée par un
ballon stratosphérique selon une séquence adaptée
au site de lancement et à son expérience passée.
La base de lancement de Trapani est située à la pointe
de la côte ouest de la Sicile. Pendant les premiers mois de
l'été, les conditions atmosphériques offrent des
vents d'altitude (au-dessus de 18 km) vers l'Ouest, donc vers la
mer o une zone de sécurité peut être
définie. Un ballon lancé de cette base va donc
commencer une ascension avec une dérive le plus souvent vers
l'Est, puis atteindra l'altitude d'inversion des vents et partira
vers l'Ouest.
A l'aide des simulations effectuées avec les données
statistiques de la météorologie de cette région,
une enveloppe de trajectoires a été définie,
permettant d'atteindre avec une bonne probabilité un point
de largage de la capsule situé au-dessus de la mer et dans
une zone de sécurité démarrant à 80 kmenviron
de la côte de Trapani. Par ailleurs, dès le début
de la campagne, des sondages journaliers ont donné le profil
vitesse/direction des vents en fonction de l'altitude.
La configuration de lancement suivante a été retenue
:
- un ballon stratosphérique rempli à l'hélium
(Fig. 3), de volume 104 546 m³, avec deux manches
d'évent permettant après ascension de garder une
altitude constante (dans notre cas entre 23 et 24 km);
![fig.3 bul.89](images/caza89f3_sm.gif)
Figure 3. Remplissage du ballon à l'hélium
- une chaîne de vol ballon classique comprenant en dessous
du ballon un parachute de secours (permettant de
récupérer l'ensemble nacelle et capsule en cas de
défaillance du ballon), une nacelle avec équipements
TM/TC, sonde Vaisala, répondeur radar, GPS, équipement
Omega, ballast réglable par TC, système pyrotechnique
de séparation de la charge utile, capteurs de pression et
de température, batteries...;
- la capsule maquette ARD avec
son dispositif de stabilisation;
- des moyens sol:
- la station
TM/TC de la base de Trapani;
- une station de réception TM
de la capsule, installée par Aérospatiale à
côté de la station ASI, pour enregistrer et visualiser
en temps réel les informations de la séquence parachute
.
L'ensemble de la chaîne de vol avait les
caractéristiques suivantes (Figs. 4 et 5):
- longueur totale
au lancement: un peu plus de 200 m
- masses:
ballon 928 kg
chaîne et nacelle 690 kg
ballast 480 kg
capsule+stabilisateur 2805 kg
Total: 4903 kg
- en considérant une force ascensionnelle nécessaire de
10%, la force ascensionnelle totale nécessaire était
de 5393 kg, valeur qui a servi à calculer la masse
d'hélium nécessaire.
![fig.4 bul.89](images/caza89f4_sm.gif)
Figure 4. Chaîne de vol accrochée à la grue de
lancement juste avant lancement
![fig.5 bul.89](images/caza89f5_sm.gif)
Figure 5. Chaîne de vol au début de l'ascension
La revue avant essai a été effectuée les 5, 6 et
7 juillet 1996. Les opérations de lancement du ballon ont
commencé dans la nuit du 13 au 14 juillet, après
quelques jours d'attente de conditions météorologiques
parfaites (faibles vents au sol et vents vers l'Ouest en altitude
bien établis).
Le lancement du ballon a pu être effectué le 14 juillet
vers 8 heures locales. L'ascension s'est déroulée
parfaitement avec une faible dérive vers l'Est, puis une
dérive nominale vers l'Ouest et enfin une prise de plafond
parfaite à 23 200 m, ajustée par un lâcher de
ballast de 50 kg.
L'ordre de largage de la capsule a été envoyé
dès que la zone de sécurité a été
survolée.
La capsule a effectué une chute libre stabilisée suivie
du largage stabilisateur et de la séquence parachute, puis
flottaison. La capsule a ensuite été
récupérée par le bateau de récupération
guidé par la localisation du réseau Sarsat (FMCC-CNES
à Toulouse) qui a fourni entre 11h02 et 12h58 quatre
localisations très utiles.
Après retour de la capsule à Alenia (Turin) et
exploitation des données TM, enregistreur et caméra
embarquée, et inspection de la capsule, les résultats
de cet essai de qualification sont les suivants:
- lâcher
à une altitude de 23 168 m (spécification entre 23 et
24 km);
- à l'instant du tir mortier (H=14,7 km):
- Pdyn = 5336 Pa
(entre 5000 et 5500 spécifiés)
- M= 0,75 (M<=0,8
spécifié)
- rotation tangage au lâcher:
<1°/s (spécification idem)
- rotation tangage en
fin de chute libre (après stabilisation) au moment du tir
mortier: 10°/s et une incidence <=40°
(spécification 15°/s et 40°);
- génération nominale des commandes du séquenceur
et accomplissement de ces commandes;
- séparation correcte
du stabilisateur;
- largage de la capsule et
récupération dans la zone de sécurité selon
les simulations avant lancement, vitesse d'impact inférieure
à 6,8 m/s, flottaison capsule en position verticale
nominale, capsule étanche (Fig. 6);
![Capsule en flottaison](images/caza89f6_sm.gif)
Figure 6. Capsule en flottaison, en cours de
récupération
- système de
flottaison nominal (ballons gonflés, antenne Sarsat
déployée et balise/flash lumineux en marche);
- comme
prévu, les parachutes, séparés de la capsule
après l'amerrissage, ont coulé avant l'arrivée du
bateau de récupération (élément de
sécurité pour la récupération);
- la capsule
et ses équipements ont très bien supporté la
mission, notamment l'amerrissage;
- les paramètres de
télémesure ont été enregistrés à
bord;
- les images de la caméra embarquée montrent un
déroulement quasi nominal des phases parachutes et
flottaison.
Les anomalies mineures rencontrées pendant l'essai ont fait
l'objet de modifications qui ont
été prises en compte pour le modèle de vol ARD :
- cordes reefing des parachutes drogue et principaux choisies
avec une résistance doublée (453 kg);
- laçage des sacs
des ballons de flottaison et des attaches du capuchon antenne
Sarsat amélioré;
- contrôles à
l'intégration (orientation des ballons de flottaison) à
renforcer.
L'exploitation des données du vol est en cours. Les premiers
résultats indiquent:
- une charge à l'ouverture drogue
de 76 kN environ (due à la défaillance de l'étage
de reefing), contre respectivement 41 et 46 kN pour la
séquence avec reefing, ce qui démontre une excellente
robustesse du drogue;
- une charge à l'ouverture des
parachutes principaux de l'ordre de 94,9 kN (87,5 kN
estimés) due à une défaillance du premier
étage de reefing de l'un des trois parachutes. Les
séquences de dereefing suivantes ont induit des charges de
l'ordre de 32,4 et 68 kN, proches des valeurs estimées (42
et 68,4 kN) respectivement;
- des vitesses de descente proches
des valeurs estimées et une durée de descente totale
de 924 s (930 s estimées);
- l'adéquation des
modèles de simulation utilisés.
Avec la prise en compte des modifications mineures issues de
l'essai, celui-ci a été considéré comme
qualifiant complètement le sous-système Descente et
Récupération de l'ARD.
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ESA Bulletin Nr. 89.
Published February 1997.
Developed by ESA-ESRIN ID/D.