European Space Agency

Droit de l'espace, mythe et réalité

G. Lafferranderie

Conseiller juridique, ESA, Paris

Le Traité sur l'espace aura bientôt 30 ans. Il n'est plus la seule source de droit: à côté ont fleuri des réglementations techniques, des accords bilatéraux ou multilatéreaux entre gouvernements ou entre agences nationales, sans oublier les diverse accords de démiliterisation de l'espace et les contrats. C'est en quelque sorte le trop plein, le manque de coordination et de vue d'ensemble. Aussi aujourd'hui on ne peut plus se limiter a la lecture du Traité de 1967. Le mythe a été dépassé par les réalités mais reste essentiel: c'est de cette fusion entre mythe et réalité que pourra apparaître un droit de l'espace plus rigoureux.

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Merci lecteur de n'avoir pas sauté cet article et passé à un autre; peut-être avez-vous été retenu par une certaine curiosité mêlée d'un peu d'ironie amusée. Le droit de l'espace! Vraiment on ne sait quoi inventer, veut-on mettre des feux tricolores sur les orbites ou un poste douanier sur la Lune? D'ailleurs qui pourrait légiférer sur l'espace, les corps célestes, et de quel droit? Parce que nous sommes des êtres 'intelligents', plus développés que les bactéries qu'on semble retrouver dans les cailloux provenant de Mars? Mais pourquoi une assemblée auguste de petits hommes verts ne pourrait pas élaborer son propre droit de l'espace, régissant y compris la Terre? Le rêve pour le juriste, un conflit de lois extra-terrestres!

Mais voilà, l'homme a proliféré sur cette petite planète bleue 'comme une orange' et n'a de cesse de forger des règles pour gouverner les relations avec ses congénères, pour régir le territoire sur lequel il va régner, imposer ses lois sur l'espace terrestre, maritime et aérien. Liberté ou souveraineté? Lecteur seras-tu étonné d'apprendre que Rome avait avancé l'idée que la propriété du sol s'étendait jusque dans les cieux et aux enfers. Normal, au delà c'était le royaume des dieux. Mais Gagarine nous a informé qu'il n'avait pas rencontré Dieu lors de son voyage orbital! (il aurait dù regarder en lui-même et non par le hublot).

Si on ne peut être propriétaire de l' 'éther' (comme on disait au début de ce siècle) et de l'air, les machines volantes du début du siècle et de la première guerre mondiale ont donné à croire que l'homme pouvait en être souverain, pouvait dresser des frontières, réglementer l'exercice de cette activité nouvelle. Par là, l'homme visait à étendre le domaine d'application des lois nationales. Qu'avaient fait Christophe Colomb et les autres découvreurs de nouveaux mondes en établissant de nouvelles frontières? Dès lors, les Etats se sont mis d'accord pour déclarer que l'Etat sous-jacent a la souveraineté sur l'espace aérien au-dessus de son territoire. Restait l'espace au-dessus de la haute mer et d'autres territoires en dehors de souveraineté nationale. D'où l'établissement des 'libertés de l'air ' nécessaires au commerce international, ou de dispositions sur la responsabilité internationale des Etats ; nul besoin de se préoccuper pour savoir jusqu'à quel niveau cette 'souveraineté' existait.

Mais ne voilà-t-il pas qu'on se permet de lancer des objets artificiels, dotés d'un système de propulsion et qui peuvent même emporter un homme, faire des observations. Le droit de l'espace naît le 4 octobre 1957, et les Nations Unies s'en saisissent.

La première question que l'on va se poser, c'est bien sùr (dans la ligne de la doctrine existante), cet espace, qui n'est pas aérien, au fait comment l'appeler, 'outer space', c'est commode, mais c'est mal traduit en français par 'extra-atmosphérique', d'autres utilisent l'expression d'espace 'cosmique' ou 'extérieur'. Cet espace, certains vont même jusqu'à le découper en tranches.

Cet espace - qu'on ne sait appeler, mais pourquoi ne pas simplement dire 'l'espace', l'espace aérien n'étant lui qu'un élément de l'ensemble, cet espace à qui appartient-il donc ? Qui dispose d'un droit de souveraineté? Voilà la question qui, en 1958, tracassait le monde juridique. On finit par comprendre que si on s'essaie à prolonger à la verticale les frontières nationales, on arrive à une situation ressemblant à celle de spaghettis que vous essayez d'extraire de votre assiette : tout se mélange. Aussi, après avoir essayé bien des théories savantes, on arrive à la conclusion que cet espace extra- atmosphérique, eh bien, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par quelque moyen que ce soit ; aucune limite, supérieure ou inférieure n'est fixée et on s'intéresse aux activités conduites dans cet espace. Son exploration et son utilisation sont dites libres, par tout Etat sans discrimination, quel que soit son niveau de développement, pourvu bien sùr qu'il ait les ressources nécessaires (développer un lanceur ou se procurer un lancement, développer un satellite, disposer de stations de contrôle, d'une base de lancement, ce n'est pas donné à tous les Etats). L'issue est de proclamer que toutes ces utilisations se font au bénéfice de l'humanité toute entière. Mais celle-ci, le sait-elle et comment va-t-elle percevoir ces bénéfices?

Un autre sujet de préoccupation: l'utilisation militaire, pacifique, non agressive, quid des satellites espions (le satellite n'est-il par un super U2?), des satellites anti- satellites, etc. Alors on distinguera entre la Lune, les autres corps célestes, qui sont démilitarisés. Ouf pour les petits hommes verts et tant pis pour la 'guerre des étoiles'. Bien sùr on pourra y employer du personnel militaire (rendu libre sur Terre). Par contre, pour ce qui concerne la Terre, les écologistes seront heureux d'apprendre qu'on s'interdit toute utilisation d'armes de destruction massive (ce qui laisse quand même pas mal d'autres armes non interdites, aux survivants de dire si ce fut une destruction massive ou pas).

On se préoccupe alors y compris des astronautes 'envoyés de l'humanité toute entière', encore elle mise à contribution, ce qui n'évite pas que les astronautes partent avec passeports et visas, et bien sfr des dommages causés par des objets spatiaux sur Terre, sur mer, dans l'espace aérien et dans l'espace, dommages entre deux satellites, un satellite et un aéronef. Mais quel est le responsable, auprès de qui vais-je me plaindre si le ciel me tombe sur la tête? Quelle est la loi applicable, le tribunal compétent, et en plus s'il s'agit d'un débris, et d'un débris radioactif ? Vous avez le choix, il faut déterminer l'Etat de lancement. Maintenant qu'on va pouvoir lancer depuis une plate-forme en haute mer! Vos papiers : quelle est votre immatriculation, votre assurance ? Si Molière était là, les Plaideurs seraient à moderniser. De toute façon, on se calme, on se calme: en droit international, ça se dit 'on se consulte'. Pas de brouillage nuisible, pas d'interférence, c'est normal.

Tout ceci nous amène à une Déclaration en 1963 sur les principes régissant les activités des Etats, base du grand Traité sur l'espace entré en vigueur le 10 octobre 1967, à des Accords complémentaires, sur les astronautes, sur la responsabilité internationale pour dommages, sur l'immatriculation des objets spatiaux, sur la Lune puis à des Principes concernant la radiodiffusion directe, l'observation des ressources terrestres, les sources d'énergie nucléaire, la notion de bénéfice.

Le Traité sur l'espace va donc sur ses 30 ans; il n'est plus la seule source de droit.. A côté ont fleuri des réglementations techniques comme celles de l'UIT sur les fréquences, les positions en orbite, et surtout des Accords bilatéraux ou multilatéraux soit entre gouvernements, entre agences nationales, avec les Organisations internationales conduisant des activités spatiales qui prennent une place de plus en plus grande mais quelque peu ignorées dans le droit de l'espace stricto sensu (comme ESA, Eutelsat, Eumetsat, Arabsat, Intelsat, etc.). Bien sùr, citons les Accords sur la Station spatiale internationale de 1988 revus en 1997, sans oublier les divers Accords de démilitarisation de l'espace et bien sùr les contrats.

De nouveaux sujets sont traités dans ce droit positif : les services commerciaux de lancement, brevet et copyright, accès aux informations scientifiques et techniques et distribution de ces informations, jusqu'au droit pénal. De nouvelles formules apparaissent ('cross-waiver' en matière de responsabilité), ou des faiblesses subsistent (en matière de règlement des différends) de nouveaux sujets de droit, en particulier les entités privées. D'où de nouvelles réglementations nationales (contrôle et autorisation des activités privées). Le droit du commerce spatial en quelques sorte. On va même s'interroger sur l'opportunité d'établir une Organisation mondiale de l'espace. Dans un sens, c'est le trop plein, le manque de coordination et de vue d'ensemble. Aussi aujourd'hui on ne peut se limiter à la lecture du Traité de 1967. Le mythe a été dépassé par les réalités mais reste essentiel; c'est de cette fusion entre mythe et réalité que pourra apparaître un droit de l'espace plus vigoureux.


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Right Left Up Home ESA Bulletin Nr. 90.
Published May 1997.
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