L’atmosphère de Titan étudiée sur Terre
Pour mieux comprendre la chimie de l’atmosphère de Titan, un laboratoire français l’a reconstituée sur Terre. Ces travaux aideront la sonde Huygens à savoir ce qu’elle doit chercher et permettront ensuite de mieux comprendre ce qu’elle aura trouvé.
La reconstitution d’atmosphères en laboratoire est une activité qui date de plus de 50 ans. En 1953, le chimiste américain Stanley Miller a recréé dans une enceinte close un modèle d’atmosphère de la Terre primitive, avec une réserve d’eau, et l’a soumise à des décharges électriques simulant les éclairs. Après avoir laissé reposer l’ensemble pendant une semaine, il a mis en évidence la formation de nombreux composés, dont des acides aminés, qui sont l’un des constituants essentiels de la vie organique telle que nous la connaissons.
« Aujourd’hui, l’expérience de Miller a surtout une valeur historique », estime le Pr. François Raulin, co-investigateur sur deux expériences embarquées à bord de la sonde européenne Huygens vers Titan et scientifique interdisciplinaire (IDS) en charge de l’exobiologie pour la mission Cassini-Huygens. « Le modèle utilisé était loin d’être satisfaisant, mais cela a permis d’ouvrir un nouveau champ d’expérimentation dans ce domaine et c’est depuis cette époque que l’on parle de chimie prébiotique, la chimie qui a précédé l’émergence de la vie ».
Titan en bouteille
De nombreuses expériences du même type ont été réalisées sur des modèles d’atmosphère de la Terre primitive ainsi que sur des analogues des atmosphères de Jupiter et Saturne. Plus récemment, les expériences ont porté sur l’atmosphère de Titan après la découverte de grandes similitudes entre celle-ci et celle de la Terre à la veille de l’apparition de la vie.
Les travaux sur l’atmosphère de Titan ont débuté avant même son survol par Voyager 1 en 1980. « Les principaux composés de son atmosphère, en particulier le méthane ainsi que d’autres hydrocarbures (acétylène, éthane et éthylène), avaient été repérés par observation spectrométrique depuis la Terre par l’astronome Gerald Kuiper dès 1944 », rappelle François Raulin. « Dès avant Voyager 1, nous avions quelques connaissances et nous étions déjà intrigués ».
Dès 1982, lorsque l’on commence à imaginer ce qui deviendra la mission Huygens, le Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement (LPCE) de Créteil entreprend de réaliser des simulations d’atmosphère afin de déterminer quels composés peuvent se former dans les conditions atmosphériques et énergétiques de la lune de Saturne. Le LPCE sera plus tard intégré dans l’actuel Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA) de l’Université de Paris 12, dont le Pr. Raulin a été directeur jusqu'à la fin de l'an dernier.
La recette d’une atmosphère
Pour réaliser une atmosphère de Titan, il faut disposer d’un mélange à 2% de méthane dans du di-azote (azote moléculaire) – proportions confirmées par les observations récentes de Cassini – et le soumettre à des sources d’énergie de deux types : rayonnements ultraviolets solaires et électrons de la magnétosphère de Saturne.
« Le principal problème vient du fait qu’il est très difficile de reproduire les rayons UV aux longueurs d’onde les plus énergétiques qui permettraient la dissociation de l’azote », déplore François Raulin. Or cet apport photochimique représente 80% des apports énergétiques auxquels est soumise l’atmosphère de Titan. Une solution pour compenser cette difficulté peut être d’introduire dans le modèle de l’azote atomique, déjà dissocié. « Les processus premiers ne sont pas pleinement représentatifs, mais par la suite le modèle est bon ». Une autre option est de s’intéresser aux interactions dans la stratosphère où l’interaction électronique est prédominante.
Lors des expériences réalisées au LISA, la douzaine de composés déjà détectés sur Titan a pu être mise en évidence dans des proportions correspondantes à ce qui a été constaté par l’observation. On trouve ainsi des hydrocarbures plus ou moins complexes (du méthane jusqu’au benzène), mais aussi des composés à la base de l’apparition de la vie, comme l’acide cyanhydrique, qui est un poison violent, ou le cyanoacétylène.
Le défi de l’analyse
Là où Miller utilisait un réacteur fermé avec des décharges électriques simulant les éclairs, le LISA utilise depuis 10 ans des réacteurs ouverts, en forme de U, alimentés par un flux gazeux permanent et plongés dans un liquide cryogénique pour reproduire les températures extrêmes de Titan : de l’ordre de – 100°C dans la stratosphère. Les pressions sont faibles, représentatives de la haute altitude, et les produits formés sont piégés en sortie de réacteur. Comme les quantités sont faibles, l’accumulation qui résulte de cette architecture facilite l’analyse des composés.
« Celle-ci est difficile car certains composés se volatilisent ou polymérisent dès qu’on change la température. Certains vont même exploser ! » souligne François Raulin. Ainsi, le dicyanoacétylène, repéré sur Titan, a nécessité des moyens spécifiques de chromatographie en phase gazeuse à basse température pour être détecté au LISA car il s’agit d’un composé thermiquement peu stable.
De nombreux autres composés non détectés sur Titan à ce jour ont également été identifiés en laboratoire. Ils sont autant de pistes que devront explorer les scientifiques lorsqu’ils dépouilleront les données recueillies par Huygens lors de sa descente du 14 janvier. Les résultats obtenus au LISA au début des années 1990 ont notamment permis de définir les caractéristiques de l’instrument GCMS, un spectromètre de masse couplé avec un chromatographe en phase gazeuse pour lequel le LISA est associé au Centre Spatial Goddard de La NASA.
« Un chromatographe en phase gazeuse utilise des colonnes pour séparer les constituants, pour définir les niveaux de séparation de ces colonnes, il faut avoir une idée de ce que l’on cherche » explique François Raulin.
La chasse aux « tholins »
Outre des composés gazeux, les simulations du LISA ont généré également des résidus solides, baptisés « tholins » (du grec tholos, « boueux ») par l’exobiologiste américain Carl Sagan. Leurs structures moléculaires sont difficilement identifiables car ces résidus sont souvent non solubles. Pour étudier les mécanismes de leur formation, les chercheurs du LISA ont fait appel à des fibres optiques installées au cœur du réacteur qui permettent d’effectuer in situ des analyses spectrométriques dans les domaines visibles et ultraviolet.
« Ces tholins pourraient exister également sur Titan et être à l’origine de ces aérosols en si grande quantité qu’ils masquent la surface » note François Raulin. « Ils jouent un rôle très important dans l’atmosphère, mais nous ne disposons d’aucune donnée directe sur leur composition ». L’une des missions d’Huygens sera donc d’étudier ces aérosols, grâce à l’instrument ACP, du Service d’Aéronomie du CNRS à Verrières-le-Buisson, qui les collectera et les analysera par pyrolyse. Ses résultats permettront éventuellement de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse de l’origine dans la chimie atmosphérique. Le LISA est également associé à cette expérience.
Nouvelles pistes de recherche
Depuis quelques années, des expériences ont été réalisées au LISA sur l’influence du monoxyde de carbone présent en très faibles concentrations dans l’atmosphère de Titan et susceptible d’y faire apparaître des composés organiques oxygénés comme le méthanol ou le formaldéhyde.
« Nous avons découvert que cela entraînait la formation d’une kyrielle de composés et que le plus commun n’était pas celui que nous attendions : de l’oxyrane ou oxyde d’éthylène ». Il s’agit désormais de savoir si ce composé peu connu présente un intérêt au niveau de la chimie prébiotique et de vérifier s’il est effectivement présent sur Titan.
Par ailleurs, le LISA travaille aujourd’hui à la mise au point d’un nouveau réacteur, le SETUP (Simulations Expérimentales et Théoriques Utiles à la Planétologie) qui couple interactions électriques et photochimiques. Ces dernières seront réalisées à l’aide d’un système de laser pour simuler les phénomènes de dissociation du méthane. L’origine de ce gaz sur Titan reste mystérieuse car le calcul montre qu’il devrait disparaître totalement en 30 millions d’années. Le méthane actuel est il un résidu ou existe-t-il sur Titan un phénomène, comme du volcanisme, susceptible de le produire ?
Huygens et au-delà
Les expériences du LISA ont également permis de produire des « analogues » de l’atmosphère de Titan utilisées pour étalonner les instruments d’Huygens. Elles pourront ultérieurement servir à l’interprétation des données collectées par la sonde.
« Les travaux du LISA sont uniques au monde » estime Jean-Pierre Lebreton, responsable scientifique et technique de la mission Huygens à l’ESA. « Ces simulations jouent un rôle fondamental dans la préparation à l’analyse et à la compréhension des données recueillies par Huygens. Il faudra poursuivre ces expériences à la lueur de ces résultats afin d’améliorer encore notre compréhension de la chimie de cette atmosphère. Ce sera encore un travail de nombreuses années ».
Titan n’est pas le seul environnement étudié par le LISA, qui effectue également des simulations d’environnement cométaire et martien. Pour la Planète Rouge, ces recherches se concentrent sur les interactions de l’atmosphère avec la surface.
« Nous établissons une banque de données des carbonates. Notre objectif est de parvenir à différencier s’ils sont d’origine minérale ou biologique afin de préparer le terrain pour les prochaines missions d’exploration qui iront les analyser sur place ».
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