La défense planétaire, un sujet impactant !
Le siège de l’Agence spatiale européenne, situé à Paris, accueillait le vendredi 20 septembre deux cent personnes pour la 2e conférence du cycle « Rencontres en apESAnteur », qui aborde les thèmes fascinants sur lesquels travaille l’ESA.
Après « Les vols habités » en avril dernier, l’ESA avait cette fois réuni trois experts qui travaillent au quotidien sur des missions de défense planétaire. L’impact d’un astéroïde est l’un des thèmes favoris d’Hollywood, mais il s’agit surtout à ce jour de la seule catastrophe naturelle que nous pourrions empêcher – à condition de ne pas attendre que le risque soit à nos portes pour s’en préoccuper.
« Tous les astéroïdes ne représentent pas une menace pour la Terre » commence par expliquer Pâmini Annat, ingénieure système au CNES pour la mission Hera de l’ESA ; seuls les astéroïdes géocroiseurs, appelés ainsi parce que leur trajectoire croise celle de la Terre, présentent un éventuel risque d’impact.
Lorsqu’un nouvel astéroïde est découvert par la communauté internationale, les premières observations peuvent aboutir à une probabilité élevée d’impact, qui s’affine au fil du temps ; ce fut par exemple le cas pour l’astéroïde Apophis, découvert en 2004 et un temps classé comme objet à haut risque. Nous savons aujourd’hui qu’il n’entrera pas en collision avec la Terre le vendredi 13 avril 2029, mais qu’il la frôlera à moins de 32 000 km.
Ian Carnelli, chef de projet de la mission de défense planétaire Hera de l’ESA, et Patrick Michel, directeur de recherches au CNRS et responsable scientifique d’Hera, ont tous les deux souligné la difficulté de sensibiliser sur le sujet des astéroïdes et l’importance de développer des missions de défense planétaire. Étant souvent associé à la science-fiction, ce thème peine à être pris au sérieux comme un enjeu réel.
Les astéroïdes font régulièrement la Une des journaux lorsqu’ils passent au plus près de la Terre, mais peinent à éveiller un intérêt durable auprès du grand public. Du côté des instances gouvernantes, le fait qu’aucun « astéroïde extincteur d’espèce » (« planet killer », en anglais) n’ait encore été identifié constitue certainement un frein lorsqu’il s’agit d’allouer des budgets pour la recherche ou de financer une mission de démonstration.
En 1994, la comète Shoemaker-Levy 9 percute Jupiter et crée des marques d'impact de la taille de la Terre ; Ian Carnelli explique que cet événement, qui est observé en direct pour la première fois, réveille la communauté scientifique. Une question émerge : et si la même situation guettait la Terre, pourrait-on empêcher un corps céleste, astéroïde ou comète, de frapper notre planète ?
Un autre événement, plus récent, a lui aussi contribué à faire progresser les mentalités explique Patrick Michel. En effet, la crise sanitaire a mis en évidence qu'un événement à faible probabilité peut non seulement se produire, mais aussi survenir bien plus tôt qu'on ne l'imagine. Si le taux d’impact est resté constant pendant les 4 derniers milliards d’années, les astrophysiciens estiment que c’est tous les 10 - 15 000 ans qu’un astéroïde a le potentiel de réduire à néant une région.
Chaque jour, des télescopes installés dans le monde entier scrutent le ciel à la recherche d’astéroïdes inconnus ; tous ne sont pas repérés, certains sont notamment cachés à notre vue par les éblouissants rayons du Soleil. Ce fut le cas de l’astéroïde qui a explosé dans l’atmosphère au-dessus de Tcheliabinsk (Russie) le 15 février 2013… Une date gravée dans la mémoire de Patrick Michel qui était justement à l’ONU pour évoquer la question du risque posé par les astéroïdes !
Cet événement a permis de débloquer des fonds pour la construction du télescope FlyEye de l'ESA, explique Ian Carnelli. Même si un astéroïde n’est découvert que quelques heures avant impact, cela donne le temps de prévenir les populations concernées, soit pour qu’elles évacuent la zone, soit pour qu’elles prennent des mesures simples pour se protéger des effets de l’onde de choc – par exemple s’éloigner des bâtiments et se tenir à l’écart des fenêtres.
Les experts ont également évoqué les deux missions passionnantes de défense planétaire dans l’actualité de l’ESA : Hera, qui décollera en octobre 2024 à destination d’un système binaire d’astéroïdes, et Ramses, qui étudiera l’astéroïde Apophis lors de son passage au plus près de la Terre en 2029.
La mission Hera vise à transformer une expérience à grande échelle, l’impact de la petite lune d’un astéroïde par la sonde DART de la NASA, en une technique de déviation d’astéroïde maitrisée et reproductible. La trajectoire de la lune, Dimorphos, a bien changé sous l’effet de l’impact, mais pour les scientifiques, il est crucial de recueillir le plus de données possible sur la masse et la composition de la lune pour juger de l’efficacité de la méthode. « Le comportement mécanique de la surface de ces objets célestes défie notre intuition », explique Patrick Michel, qui en a fait l’expérience lors d’autres missions à destination d’un astéroïde.
Pâmini Annat a également expliqué les défis liés à la préparation des opérations de dynamique du vol et de programmation des instruments de Juventas et Milani, les CubeSats de la mission Hera. Pour la première fois dans l’histoire de l'ESA, deux CubeSats seront déployés dans l’espace profond et s’écarteront jusqu’à 30 km de leur vaisseau mère. Hera sera également la première mission à s’insérer en orbite autour d’un système d’astéroïdes binaire et la première mission à effectuer un sondage radar de l’intérieur d’un astéroïde.
Le décollage de la mission Hera est prévu au plus tôt le 7 octobre 2024 depuis la Floride, avec une fenêtre de tir quotidienne de seulement 16 secondes. Le voyage d’Hera à destination du système d’astéroïdes binaire Didymos durera environ deux ans, et la sonde se trouvera alors à 181 millions de kilomètres de la Terre.
Ce modèle de mission, un vaisseau-mère et deux compagnons CubeSats, sera repris pour la mission Ramses de l’ESA. Tout risque de collision avec notre planète en 2029 est levé, mais Ian Carnelli explique que ce survol de la Terre par Apophis représente « une opportunité passionnante d'étudier la structure interne des astéroïdes et d’identifier les propriétés mécaniques à connaître si l'on veut pouvoir dévier un astéroïde ».
« Apophis sera visible à l'œil nu depuis Paris » ajoute Patrick Michel, « c'est une opportunité extraordinaire de sensibiliser le grand public au problème des astéroïdes. »
En conclusion, les trois experts ont souligné qu’avec ces missions ils vivent surtout une formidable aventure humaine, sur un temps long. Plusieurs décennies s’écoulent entre l’idée initiale d’une mission et sa complétion. Tout ne se passe pas comme prévu, des portes se ferment, d’autres s’ouvrent, mais quelle joie quand la sonde sur laquelle on a si longtemps travaillé remplit tous ses objectifs, ou quand la précision d’une trajectoire permet des observations encore plus incroyables que prévues.
Après une séance de questions-réponses, le public était invité à découvrir plus en profondeur la mission de défense planétaire Hera à travers une exposition installée à l’extérieur de la salle du Conseil de l’ESA et une expérience en réalité virtuelle permettant de visualiser Hera et ses CubeSats. Patrick Michel dédicaçait également son livre « À la rencontre des astéroïdes », sorti en novembre 2023 aux éditions Odile Jacob.
Les membres du public qui le souhaitaient ont également eu accès à l’Astrolabe – le centre des visiteurs du siège de l’ESA – ainsi qu’à la boutique qui étaient exceptionnellement ouverts à cet horaire pour l’occasion.